mardi 22 septembre 2015

L'écrin

L’écrin

Enfin me voilà libre,
Fidèle amant du présent,
Insouciant de demain !

Petits et grands poètes qui enivrent
Et la polyphonie fait jardin
Dans mon cœur d’Arlequin.

La main posée sur le livre,
Ton épaule contre mon sein :
Preux pantin du destin !

Simplement se réjouir,
Retrouver l’enfantin,
Petits plaisirs divins.

Ainsi la vie pour s’accomplir,
A tes lèvres prend un bain
Comme à l’oasis le bédouin.

De l’éternité de porphyre,
Jaillissent des mots sans teint
Que chacun prendra pour siens,

Car c’est assez de se ternir
Sur le pauvre sort humain
Et sa sempiternelle fin !

Je suis la rivière sans givre qui berce les bohémiens et n’en délaisse aucun.
Je suis le pas lent du tigre qui ne doute pas du festin qui l’attend au loin.
Je suis le matin sans fin qui sans un soupir est venu cueillir dans le creux de tes mains, sa solitude et son écrin.

H. Seposa



Edouard Manet - La lecture








jeudi 10 septembre 2015

Le temps des oiseaux


Le temps des oiseaux

Les escaliers de l’Opéra brillaient,
La lumière s’offrait en révérence,
Les nuages doucement se rassemblaient,
Deux oiseaux s’avançaient pour une danse.

Intensité du temps qui se retire
Pour deux oiseaux et leur étourdissement,
Pressant d’oublier pouvoir et empire,
Sous un vent légèrement larmoyant.

Posaient à la terrasse du grand café,
Les ailes repliées mais insoumises,
Les deux oiseaux au temps s’abandonnaient
Et Paris se changea en Venise.

Sur la toile du peintre surréaliste,
Une lune lisse et pleine rougeoyait
Et les oiseaux s’affairaient à la liste
Des fleurs à planter aux arquebusiers.

Ainsi le temps quand il est enchanté,
Ainsi la danse Ornitho sans logique,
Avant le grand retour du temps âgé
Et de sa fuite toujours tragique !

H. Seposa


 
Margret Hofheinz-Döring




mardi 7 juillet 2015

L'Art du poète

L’art du poète
Le silence après la note,
Les quatre coups à la porte,
Le vêtement que l’on ôte,
Les armés, leurs cohortes.

L’art du poète
La signature à la lettre,
Les lignes ondulantes de l’Être
Les cambrures de la cueillette,
Le bourgeois à sa courbette.

L’art du poète
Le prêche avant le sermon,
La brume au dessin des monts,
La douce mémoire des chansons,
Les barreaux de la prison.

L’art du poète,
Le rouge piquant des piments
L’amertume et ses instants,
Les vagues et leurs mouvements,
Les premiers soupirs du temps.

L’art du poète,
Les battements d’ailes du rossignol,
Le chant du merle avant l’envol,
La goutte glissant hors du bol,
Le patricien et son étole.

L’art du poète,
Les broderies de la nuit,
Les battements de la vie,
Le surgissement de l’envie
De l’enfant les premiers cris.

L’art du poète,
Le pétale tombant du bouquet,
Les amants au soir enivrés,
Le crissement des feuilles sous le pied,
La joie des printemps retrouvés.

L’art du poète,
La tige plongée dans l’eau du vase,
Le regard pendant l’extase,
L’intonation de l’emphase,
La musique de la phrase.

L’art du poète,
Le crépitement des pommes au four,
Le rythme des tambours,
Le touché du retour,
Les sentiers dans les bourgs.

L’art du poète,
Les châteaux faits de sable,
Le râle des misérables
La main se posant, affable,
Les pâtisseries sur la table.
  
L’art du poète,
Les chevauchés ondoyantes,
La course du vent dans la pente,
Le doux sourire d’une passante,
La marche du désert, lente.

L’art du poète,
Le bruit sourd du bouchon qu’on retire,
La saveur du vin dans un fou-rire,
Les doigts du musicien à la lyre,
Le cœur des hommes, ce qu’il a de pire.

L’art du poète,
La ferveur de l’araignée à sa toile,
Le bateau défiant la mer de ses voiles,
La larme du moussaillon dans les cales,
Les valses lancinantes des soirs de bals.

L’art du poète,
Du grand arc la tension,
De la vie le poison,
Vérité, déraison !


L’Art du poète,
Pas une soudaine ascension,
Plutôt une lente conquête,
L’Amour et l’art de l’attention !

H. Seposa




 

RYSSELBERGHE Théo Van

PORTRAIT DU POETE VERHAEREN


samedi 4 avril 2015

Amnésique Arlequin



Amnésique Arlequin

Et si je fus porté d’images en images
De sens en absence
De transe en conscience
 Sur les flots d’une mer empourprée de blanc ?
Si les naïvetés apparentes
N’étaient que le masque
D’une sérénité secrète ?
Si je paraissais encore
Ce que je ne saurais plus être ?
S’il fallait
Pour retrouver Ithaque après l’attente
De la gnose tout oublier et esseulé
Tendre la face aux vagues violentes
Sous le regard de Silène amusé ?
S’il fallait longtemps se balancer
 A la clé de la portée 
Pour embrasser la Partition
Avant de tout lâcher ?
S’il fallait
 Où la musique commence
Où le verbe s’arrête
Où les noces s’avancent
Et où la gerbe se jette
Sans autre forme de procès
 Tout arrêter
S’ensommeiller ?
Au réveil
QUI se présenterait
Au miroir du pareil ?
PERSONNE
Personne qui surgirait de ce voyage
Qui rend étranger le familier.
Personne parfait en sa volonté
De voir dans l’ancien toute la nouveauté
Et depuis le nouveau les vieux appareillages.
Faites place à…
Personne ayant donné repos à la pensée
 Et tissé sur l’abîme
Du haut comme du bas de sa vive humilité
Le pont depuis lequel il s’inventait !


H. Seposa

Pablo Picasso, 1918, Arlequin au violon